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Cette semaine, on a rencontré Lucio Bukowski, rappeur et beatmaker lyonnais, poète « décadent », qui met à mal les zemmouriens pensant que le rap est une « sous-culture d’analphabètes » (pour s’en convaincre, il suffit d’écouter son dernier album Oderunt Poetas). On a remonté avec lui la source de ses inspirations :
– Comment es-tu venu au rap ?
Très naturellement en fait… Adolescent, j’écrivais des poèmes, des nouvelles… Et en parallèle j’écoutais du rap, puisque les gens autour de moi en écoutaient. Assez vite, il n’a plus été question d’en écouter pour faire comme les autres : quelque chose m’a profondément touché. La place prédominante des mots, la possibilité d’en faire toutes sortes de constructions, de figures, d’histoires… D’un simple jeu le rap m’est devenu presque vital. L’expressivité que je pouvais en tirer s’est muée en passion, en possibilités nouvelles, en existence propre.
– Des rappeurs qui t’inspirent en France, aux US… ?
Oui, il y en a évidemment eu quelques-uns… Oxmo est peut-être celui qui m’a donné envie de mettre mes poèmes en rap (avec « Opéra Puccino », je devais avoir 14 ou 15 piges… Sa manière de créer de l’image m’a immédiatement frappé. Je pourrais aussi citer Les Sages Poètes ou Solaar pour les mêmes raisons.
Puis, un peu plus tard, je me suis détaché de cette école « classique » (si cela a un sens)… Précisément avec la sortie de l’album Asphalte Hurlante de La Caution, j’ai compris que les combinaisons musicales et textuelles du rap étaient infinies. Ce truc m’a complètement décomplexé : tout devenait possible. C’est ce qui m’a aussi attiré vers des groupes ou des artistes comme TTC, Svinkels, Fuzati, Grems, Arm… Aujourd’hui, je dois dire que pas mal de gars m’impressionnent… et si je devais en citer un, ce serait Vîrus.
Pour les Américains, je te citerais évidemment MF Doom… Pour moi, c’est le MC le plus fou (toutes générations confondues) : en termes de flow (assonances, placements, silences), d’écriture (la langue de Doom est un îlot à part dans le rap, autant dans les structures que dans le sens de l’image), du goût de l’expérimentation, de ses choix esthétiques… tout est parfait !
– Tes inspirations dans d’autres genres musicaux ?
Il y en a un paquet dis donc… Pour les principaux, je dirais : Bashung (pour la langue et le culot musical, pour la tristesse et la lumière), Zappa (pour son absence de frontières créatrices, sa façon d’intégrer toutes sortes d’éléments et de rompre avec les règles de tous les styles musicaux qu’il utilise), Moondog (pour exactement les mêmes raisons), Sun Ra et Arvo Part (pour la beauté et la spiritualité)… et puis citons les Pink Floyd (pour la profondeur de leur musique, le renouvellement, la grâce, l’engagement)…
– Tes références littéraires ?
C’est pareil… c’est difficile de réduire des années de lecture à quelques influences… Je crois que c’est la succession des lectures, des contradictions, des styles, des messages, des identités de chaque auteur qui finissent par se décanter et se mêler à tes propres expériences, à tes échecs et à tes joies…
– Un livre que tu considères comme un chef d’œuvre ?
Septentrion de Louis Calaferte. Sans commentaire. (ndlr : voici un extrait de Septentrion en guise de mise en bouche !)
– Un poème ?
– Une scène de film ?
C’est peut-être parce que je l’ai revu il y a quelques jours, mais le duel final d’Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone… Autant pour la réalisation complètement hallucinante (le flashback de l’Harmonica sur fond de Morricone) que pour la portée spirituelle de la scène… Le silence, deux hommes, la mort et du sable…
– Un tableau ?
« Saint Joseph Charpentier » de Georges de La Tour. J’ai eu l’occasion de le voir à Madrid il y a quelques mois durant une expo temporaire. Je suis resté bloqué 30 minutes sans bouger… Ils avaient quasiment éteint tout l’espace d’exposition et on aurait dit que la flamme tenue par l’enfant nous illuminait littéralement le visage… Jusqu’à en sentir la chaleur…
Saint Joseph Charpentier de Georges de La Tour
– Le mot de la fin ?
Essayez toujours.
Merci à Lucio Bukowski pour cette interview. On vous conseille vivement de jeter une oreille sur son dernier album Oderunt Poetas !
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