La Compagnie Affable

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Septentrion de Louis Calaferte (extrait)

gustave-courbet-lorigine-du-monde« On n’a jamais, je dis bien jamais, écrit quelque chose d’aussi fort, d’aussi cru et violent. Et drôle. Et horrible. Et peut-être prophétique.  Ne pas avoir lu ou ne pas lire sur-le-champ Septentrion est foncièrement immoral. » C’est ce que nous dit Philippe Sollers à propos de ce roman de Louis Calaferte (la même suite d’adjectifs pourrait s’appliquer à son Requiem des Innocents). En voici les premières lignes :

Au commencement était le Sexe. Sauveur. Chargé d’immortalité. Il y a la Bête. Héroïque. Puissante. Et au-delà de la Bête il n’y a rien. Rien sinon Dieu Lui-même. Magnifique et pesant. Avec son œil de glace. Rond. Statique. Démesurément profond. Fixe jusqu’à l’hypnose. Tragique regard d’oiseau. Allumé et cruel. Impénétrable de détachement. Rivé sur l’infini d’où tout arrive.

Le monde s’ouvre comme un énorme utérus en feu. Le monde est femelle, comme l’est la Création. Et putain, impudique, comme l’est la femelle. Père. Fils. Esprit. Triangle sacré du pubis. Le sexe-roi. C’est partout la famine. Étreindre. Prendre. Jouir. Le monde est vautré, nu, offert à la fornication dans sa splendeur maligne et dans sa purulence, tous ses abcès ouverts. Sous les yeux mêmes de l’innocence qui cherche.

Dans ce néant placide, la principale préoccupation est de mettre le cap chaque jour sur un point, précis ou non, connu ou non, sans qu’il soit même question d’aborder quelque part. Et louons le Seigneur qui nous porte en son sein comme une écharde vénéneuse! Nul ne peut dire encore quel est l’enjeu final, ni ce que nous trouverons en bout de course. Le bûcher déjà flambant, la rémission des péchés et le repos du grand pardon ou, octroyée en récompense à titre privé, une jeune et solide putain au con prestigieux, sélectionnée entre toutes pour sa bonne humeur et son savoir-faire.

Allons, toujours! Soyons confiants! La fourmilière est en effervescence. Torpeur funèbre. Torpeur rouge de la foule qui va droit devant elle à l’aveuglette, les yeux bouffis de sang, vivant sous un soleil usé un âge déjà mort pétrifié dans le temps. Roule. Roulements. Rouages. Relayez- vous. Au coude à coude. Armée du deuil. De l’expiation. Tenez-vous prêts au cri strident de la sirène-massue enfilée droite comme un phallus de briques dans le ventre du ciel congestionné. Chaque minute compte pour une vie, comme vous savez. Sonneries-dynamites des réveils en transe. Explosent à la même heure sur le sommeil du monde abasourdi. Et le monde se dresse, chancelant sur ses jambes nues. Le monde urine en cadence. Il est sept heures. Ou la demie. Sept heures de quoi ? La demie de quoi, au juste ? Ce n’est pas la question. Nous sommes en retard de dix siècles, ou plus. […]

Ne songez présentement qu’à ramasser en hâte les habits de la veille qui traînent sur la chaise. Harnais de cuir clouté, mors et licol. Endossez vaillamment l’uniforme et boutonnez, sanglez, que l’extérieur au moins soit sans bavure. Et s’il advenait qu’une puce diabolique se soit glissée la veille au soir dans les doublures chaudes, prenez aussi la puce, il n’y a pas de raison. Il faut aller au bout des choses. L’éternité reconnaîtra les siens.

Septentrion, Louis Calaferte, Folio, p.15-16. Voir notre liste complète de textes et de scènes de théâtre et de cinéma (pour une audition ou pour le plaisir).

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Cette entrée a été publiée le 10 septembre 2016 par dans Audition / Casting, Littérature, Théâtre, et est taguée , , , , .
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