Textes & Scènes de Théâtre / Dialogues de Cinéma / Séries / Littérature / Philo / Poésie…
Phoebe Waller-Bridge et Kristin Scott-Thomas dans l’épisode 3 de la saison 2 de Fleabag.
Dialogue extrait de l’excellente série Fleabag. Après une cérémonie organisée par sa soeur pour récompenser les meilleures « Women in Business », l’héroïne trentenaire (jouée par Phoebe Waller-Bridge) profite de l’expérience de la lauréate (Kristin Scott-Thomas), qui nous offre une belle tirade sur la souffrance inhérente au corps féminin. (Le texte original en anglais est suivi d’une traduction en français.)
BELINDA: God… Women’s Awards…
FLEABAG: Congratulations.
BELINDA: Oh, it’s infantilizing bollocks.
FLEABAG: Well, don’t you think it’s good that…
BELINDA: No! No. It’s ghettoizing. It’s a subsection of success. Ah, it’s the fucking table of children’s of awards. [She laughs.]
FLEABAG: Why did you go?
BELINDA: Because I’d be an arsehole not to. [She looks at her curvaceous award statue.] God, she’s hot.
FLEABAG: Yeah.
BELINDA: Are you a lesbian?
FLEABAG: Not strictly. You?
BELINDA: [She nods.] Hmm. Do you like old films?
FLEABAG: Some.
BELINDA: And what’s your favourite period film?
FLEABAG: [Fleabag thinks for a second.] Carrie.
BELINDA: [After a second, Belinda bursts into laughter.] God… God, you are a tonic! What do you do, are you a Woman in Business?
FLEABAG: I run a café.
BELINDA: Oh! Good for you. Did you make the canapés?
FLEABAG: Uh, no, actually, I stole them. [They laugh.] How old are you?
BELINDA: 58. And you?
FLEABAG: 33.
BELINDA: Oh! Don’t worry. It does get better.
FLEABAG: You promise?
BELINDA: I promise. Listen… I was in an airplane the other day, and I realized… well, I mean… I’ve been longing to say this out loud, so… Women are born with pain built in. It’s our physical destiny! Uh, period pains, sore boobs, child birth, you know. We carry it within ourselves throughout our lives. Men don’t. They have to seek it out. They invent these gods and demons and things, so they can feel guilty about things, which is something we do very well on our own. Then they create wars, so they can feel things, and touch each other, and when there aren’t any wars, they can play rugby. And we have it all going on in here, inside. We have pain on a cycle for years and years and years. And then, just when you feel you are making peace with it all, what happens? The menopause comes. The fucking menopause comes, and it is… the most… wonderful fucking thing in the world. And yes, your entire pelvic floor crumbles, and you get fucking hot, and no one cares, but then, you’re free. No longer a slave, no longer a machine with parts. You’re just a person, in business.
BELINDA. – Mon dieu… Les Women’s Awards…
FLEABAG. – Félicitations.
BELINDA. – Oh, y’a vraiment pas de quoi…
FLEABAG. – Ah bon ? Vous ne croyez pas qu’il faut encourager…
BELINDA. – Non ! Non. C’est une autre manière de nous ghettoïser. Quelle importance de recevoir un prix quand on est nominée dans une sous-catégorie ? Merde, j’avais l’impression de jouer à la marchande… [Elle rit.]
FLEABAG. – Pourquoi vous y êtes allée alors ?
BELINDA. – J’aurais été une belle connasse si j’avais refusé l’invitation. (Elle contemple les courbes généreuses de la statuette.) Mmmh… ça, c’est un corps fait pour l’amour…
FLEABAG. – Oh, oui…
BELINDA. – Vous êtes lesbienne ?
FLEABAG. – Pas intégralement.
BELINDA. – (Elle acquiesce.) Hmm… Vous aimez les vieux films ?
FLEABAG. – Certains, oui.
BELINDA. – Quel genre ? Les films en costumes d’époque ?
FLEABAG. – Oh, ça m’arrive aussi de les regarder en culotte.
BELINDA: [Après une seconde, Belinda éclate de rire.] Mon dieu… On ne s’ennuie pas avec vous ! Qu’est-ce que vous faites dans la vie ? Vous aussi vous êtes une Woman in Business ?
FLEABAG. – Je tiens un café.
BELINDA. – Oh ! Tant mieux pour vous ! C’est vous qui avez fait les canapés ?
FLEABAG. – Euh, non, pas vraiment ; ceux-là, je les ai volés. (Elles rient.) Vous avez quel âge ?
BELINDA. – 58. Et vous ?
FLEABAG. – 33.
BELINDA. – Ne vous inquiétez pas… Ça va s’améliorer.
FLEABAG. – Vous me le promettez ?
BELINDA. – Je vous le promets. Écoutez… L’autre jour, j’étais dans l’avion, et j’ai compris quelque chose… à vrai dire, j’aime beaucoup cette idée… et ça fait un moment que je veux la partager avec quelqu’un… La douleur fait partie intégrante de la femme. Elle est notre destin physique ! Règles douloureuses, seins douloureux, douleurs de l’accouchement, vous connaissez la chanson… Nous portons la douleur en nous, tout au long de l’existence. Tandis que les hommes, eux, ne peuvent trouver la douleur qu’à l’extérieur. Ils doivent s’inventer des dieux, des démons, et tout un tas de machins, pour ressentir un début de culpabilité. Et puis ils s’inventent des guerres, pour éprouver le monde, pour entrer en contact les uns avec les autres ; et quand la guerre est finie, ils se remettent au rugby. Les femmes n’ont pas besoin de tous ces artifices. Tout cela se passe déjà en nous, à l’intérieur. Le cycle de la douleur revient à date fixe pendant des mois, des années, des décennies… Et puis, au moment où l’on croit être enfin en paix avec la douleur, que se passe-t-il ? La ménopause arrive. La putain de ménopause est là, et c’est… la meilleure chose qui soit sur Terre, nom de Dieu ! Et, oui, ton bassin entier s’effondre, les bouffées de chaleur t’étouffent, et tout le monde s’en fout, mais, ça y est : tu es enfin libre ! Tu n’es plus une esclave, plus une machine, prisonnière de sa mécanique interne… Fini les Women’s Awards, les Women in Business, tu reçois une vraie récompense : le droit d’être enfin une personne !
Scène pour deux femmes tirée de Fleabag (Saison 2, Episode 3), une série écrite, interprétée et réalisée par Phoebe Waller-Bridge. Traduction libre de Valentin Martinie.