La Compagnie Affable

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Nothing Hurts de Falk Richter : monologue de Sylvana

Falk Richter Nothing Hurts Marie Fortuit

Voici un monologue contemporain pour femme extrait de la pièce Nothing Hurts de Falk Richter

Dans une pièce qui pourrait être son atelier, Sylvana tape un texte sur son ordinateur, le récite en partie, les mots s’affichent sur un écran ; autour d’elle, des jeunes gens et des jeunes femmes, qui mettent des disques, sont couchés, boivent, font l’amour, filment les objets présents dans la pièce, se filment (le film apparaît sur l’écran), s’approchent d’elle, la touchent, s’éloignent d’elle, disent le texte en même temps qu’elle, dansent et retombent à terre.

SYLVANA : Oui, c’était l’hiver.

Très froid, à l’intérieur et à l’extérieur, sans mouvement et…
comme si quelqu’un m’avait arraché mon âme et….
et maintenant je me regarde en face,
j’ai peur,
ou bien, que l’explosion…
Soudain quelqu’un me désigne en riant : “ Tiens, une épave ” – et je me mets à courir, je demande angoissée : “ Qu’est-ce que tu dis ? de quoi j’ai l’air ? ”. “ Tu n’as pas l’air d’aller bien. Mais ça ne fait rien. Ça va passer…. ”
Une gaieté comme ça combat la peur…
Ou bien le désespoir et le plaisir extrême se mêlent, pour exploser quelque part
Je ne sais pas
Que je dois me bouger, danser, sans cesse,
ai dansé désespérément vite et,
et, et….
et quand j’ai enfin trouvé le repos,
ma tête bruissait
de toutes les couleurs, comme un choc, une explosion, comment dit-on ? mais
très très lentement,
exploser très lentement.
Non, dans ma tête vraiment rien ne se heurtait à un mur ;
le bleu, le rouge alternaient :
la musique coule, coulait, comment dit-on,
qui d’autre était là.
(“ I’d rather be in a soft place now and melt with the bodies around me, warm and soft bodies and music ”)
que personne ne s’intéresse à moi,
qu’en quelque sorte je me colle au mur, seule, négligemment – cool et tragique –
ou que je me colle par terre ?
Et que mes énergies traversent mon corps et l’espace sans la moindre concentration –
comme si elles voulaient se précipiter hors de moi,
à travers moi, puis se débarrasser de moi.
Je sens qu’il neige en moi
et là, ce n’est pas une métaphore,
non, là, je ne parle pas de métaphores,
de la neige tombe en moi, et c’est très agréable, elle prend la chaleur, prend l’ardeur de mon corps, refroidit les blessures, elle gèle mon désir d’un autre corps pour quelque temps.
Puis je suis couchée sur une sorte de banc et tous les corps auprès de moi sont merveilleux et c’est une menace, et parfois un regard diffus passe sur moi,
tout le monde semble avoir mis ses yeux en mode regard lointain et perdu que l’on ne peut jamais voir l’espace et les hommes que comme un ensemble, comme pour la musique, tout coule.

Il n’y a pas de quoi réfléchir. Pas de pensée. Pas d’information. L’échange d’information reste largement sans intérêt, l’important
c’est qu’on rassure les amis d’une phrase ou qu’on les mette au courant :
“ Je suis encore là, n’aie pas peur. ” c’est ce qu’on dit vraiment?
“ et – comment tu te sens ? ”
“ pourquoi la terre tourne-t-elle aussi vite ? N’arrêtez pas. Mais c’est agréable. ”
“ en ce moment je ne peux rien dire. ”
Soudain une voiture me roule dedans. Et il y a un choc, et quelqu’un m’aide à me relever en disant : ce n’est pas grave, il ne s’est rien passé, je t’entends encore respirer.
Oui, cette nuit encore il faut que je me batte avec mon propre corps, que j’explose, que je saigne, que je sois blessée, que je m’entaille
Aujourd’hui il faut que je me jette de moi-même contre un mur, encore une fois, ooh, j’y suis déjà couchée, hmmmmmmm
Hmmmmm, on s’effleure doucement, hmmmmm
ce serait bien de faire l’amour maintenant
ou , pour parler franchement, ce serait indispensable,
j’ai besoin d’un autre corps, maintenant, tout de suite, qui se heurte au mien et le fasse craquer brièvement,
un choc si beau, lent, doux, agréable, hmmm, est-ce que cela pourrait craquer brièvement, mais il n’y a personne ici…
hmmm, en se touchant lentement s’assembler l’un et l’autre
en se touchant lentement reconstruire quelque chose, comme quelqu’un, quelque chose qui peut à nouveau nommer les sentiments qui traversent,
qui le traversent, lentement, oui oui, lentement, qui traversent à la nage,
car la chose qui voit depuis deux heures cette masse floue d’hommes qui rayonnent, qui les voit d’un regard intensément vide, qui perçoit quelque chose sans le poursuivre,
qui voit cette masse floue d’hommes qui rayonnent à cause d’une réaction chimique,
une masse d’hommes, dont l’un s’avance, trébuche, se rejette en arrière, a peur des yeux vides grands ouverts qui le fixent, qui veulent quelque chose,
qui recèlent un désir, un désir sans but concret, un simple désir vide, qui se jette comme un fou d’une tache à l’autre,
comme un être désespéré, étouffé, mais qui n’est pas malheureux,
vite, comme un être désespéré ou très très heureux,
rassemblé en lui-même, ou bien dissous, flottant librement comme….
Ce n’est pas mon corps d’hier.
Non, ce n’est pas mon corps d’hier.
Ce n’est pas mon corps d’hier.
Je sens qu’il neige en moi, et là, ce n’est pas une métaphore,
de la neige tombe en moi, et c’est très agréable, elle prend la chaleur, prend l’ardeur de mon corps, refroidit les blessures, elle gèle mon désir d’un autre corps pour quelque temps.

Nothing Hurts, Falk Richter, traduit en français par Anne Montfort. N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler un texte sans l’œuvre complète. Vous pouvez acheter le livre en ligne et le récupérer dans la librairie la plus proche via ce lien Place des Libraires : Nothing Hurts – Falk Richter

→ Voir aussi notre liste de textes et de scènes issus du théâtre, du cinéma et de la littérature (pour une audition, pour le travail ou pour le plaisir)

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Cette entrée a été publiée le 13 avril 2017 par dans Audition / Casting, Théâtre, et est taguée , , , , , , , , , , , .
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